Lord Jim en navigation dans le Raz de Sein et le passage du Trouziard

A l’occasion d’une croisière en Bretagne ou en Mer d’Iroise vous aurez probablement l’occasion de franchir le Raz de Sein ou de naviguer dans cette zone située juste dans l’Ouest de la Pointe du Raz. Le Raz de Sein est un « passage obligé » pour naviguer entre la côte Atlantique et la Manche, car plus à l’ouest, l’ile de Sein puis la Chaussée de Sein barrent la route sur plus de 30 milles. Le passage de ce Raz de Sein est soumis aux contraintes de la marée et de ses courants particulièrement forts à cet endroit. Mais pour les plus pressés et les plus habiles, il existe un raccourci la Passe du Trouziard, que vous pourrez surveiller sur la webcam de la Pointe du Raz.

Cette zone de navigation au sud de la Mer d’Iroise est particulièrement délicate du fait des forts courants de marée et de la houle fréquente. Dans le passage resserré du Raz de Sein on se retrouve en vives eaux avec un courant de 7 nœuds pendant le flot, dirigé vers le Nord, et de 6 nœuds pendant le jusant, dirigé vers le Sud. Vous ajoutez à ça, des effets de « vent contre-courant » particulièrement redoutables et des hauts fonds où le courant et la houle lèvent une mer chaotique, et vous avez un passage où il vaut mieux calculer son coup. Les guides de navigation recommandent d’attendre la renverse ou l’étale au moment où le courant s’annule, pour franchir le raz de Sein.

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Histoire de mettre en place le décor et de créer l’ambiance, voici une évocation du Raz de Sein dans un discours aux accents « pathétiques » de Camille DORE, à l’occasion de l’assemblée générale de la SOCIÉTÉ CENTRALE DE SAUVETAGE DES NAUFRAGÉS En mai 1876:
« Le gisement des terres, les récifs qui les entourent de tous côté, la houle du large qui s’y brise sans cesse, tous est danger pour les navigateurs que leur mission appelle l’hiver dans ces parages. Les terres fuient au Sud-Est et vont former cette Baie d’Audierne si dangereuse pour les navires surpris par les coups de vent du large. Du côté de l’Iroise, elle remonte vers le Nord et fait avec la Pointe du Van, cette baie sinistre, si justement appelée la Baie des Trépassés… La côte de France ne se termine malheureusement pas aux hautes falaises qui surplombent cette pointe du Raz ; trois milles environ la séparent de l’île de Sein ; c’est le passage du raz de Sein qui demande des pilotes expérimentés.
L’été, quand le temps est beau, la mer est assez belle pour permettre de côtoyer ces roches dont les sommets émergent généralement au moment des marées ; mais dès que le temps se couvre, dès que le ciel prend cette teinte grise… le coup d’œil change et toutes ces terres, qui avaient pour ainsi dire un aspect joyeux aux rayons du soleil, prennent alors une teinte morne et glaciale; c’est la nature dans ce qu’elle a de plus triste, de plus sauvage et en même temps de plus grandiose. Si le vent souffle du large et que l’horizon se charge de ces brouillards intenses si fréquents à l’entrée de l’Iroise, la mer grossit, et, au moment de l’ouragan, les mugissements du vent sont étouffés par le bruit des lames qui viennent se briser sur cette ligne de récifs« .
Bref, il y a des moments où il vaut mieux ne pas s’amuser à venir naviguer dans le secteur. Lord Jim qui navigue régulièrement en croisière en Bretagne Sud, et fait souvent escale à l’ile de Sein connait bien ce passage du Raz de Sein et de ses « raccourcis ». Ce fameux passage du Trouziard (ou Trouz Yar) que les pêcheurs empruntaient déjà à la voile au siècle dernier, sans moteur pour « assurer le coup » mais juste des avirons pour essayer de corriger la route. De sacrés marins qui avaient un raccourci encore plus incroyable avec le passage du « Petit Raz ».
Pour passer le Raz de Sein il suffit donc d’être au bon moment, au bon endroit. Voici quelques repères que vous pourrez mettre en pratique à l’occasion d’une prochaine croisière en Bretagne ou en Mer d’Iroise à bord de Lord Jim.

Comment effectuer le passage du Raz de Sein à la voile ?

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Le passage du Raz de Sein se situe entre la pointe du Raz et le Pont des Chats. Il est délimité au Nord par le parallèle passant par le phare de Tévennec et au Sud par le parallèle passant par la pointe de Lervily près d’Audierne. Le passage « compliqué » s’étend environ sur 2 milles nautiques. Si on navigue à 5 nœuds avec un courant faible ou favorable, 2 milles nautiques ça se fait très vite en près d’un quart d’heure. Mais ces 15 à 20 minutes dans un site magnifique, laissent toujours des souvenirs inoubliables, surtout si c’est la première fois que l’on franchit le Raz. Pour résumer les choses brièvement, on descend vers le Sud à marée descendante et on monte vers le Nord à marée montante (en sachant qu’au nord du Raz le courant se divise en deux de chaque côté de Tévennec). Plus on est près de l’étale de marée à l’entrée du Raz, mieux c’est.

En règle générale le flot porte vers le Nord et le jusant vers le Sud. Si l’heure, le vent et les courants sont bons, le passage du Raz ne pose aucun problème. On choisit l’étale de pleine mer ou de basse mer pour disposer d’un courant dans le sens du vent après la renverse au cas où l’on aurait un peu de retard. Donc l’étale de pleine mer pour du vent de secteur Nord et l’étale de basse mer pour du vent de secteur Sud.

Passage du Raz de Sein du Nord vers le Sud :

Pour franchir le Raz de Sein en route vers la Bretagne Sud, on se présente à l’entrée du raz à l’étale, soit environ 1h avant la PM (Pleine Mer) de Brest. On passe ainsi avec le début de courant dans le dos. Il faut relever la Plate au 180° jusqu’à relever Tévennec par le travers tribord. On est à ce moment en principe presque au milieu entre Tévennec, sur tribord, et la balise «jaune du Raz » (danger isolé noire et rouge) sur bâbord.

Ensuite cap au 222° sur Le Chat. On passe au milieu entre Tévennec et la tourelle de La Plate jusqu’à relever Tévennec au 350°. Il ne faut pas relever Tévennec au-dessus du 0°, car cela indique qu’on est trop à l’Ouest et la zone Nord du phare du Chat est à éviter à cause des nombreux hauts fonds. En restant au milieu entre Tévennec et la Plate, on part cap 149° pour choisir la partie Est du passage. Une fois passé l’alignement du Chat et de La Plate, on est « tiré d’affaire ». On continue sur cette route en compensant le courant descendant. Attention à ne pas passer trop près de La Plate, à cause d’un contre-courant assez fort.

Passage du Raz de Sein du Sud vers le Nord:

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Le passage Sud-Nord c’est exactement la route inverse de celle que l’on vient de décrire. On se présente à l’étale de Basse Mer soit environ + 05h40 de la PM de Brest, et on fait l’inverse de la route inverse ce qui permet d’éviter les hauts fonds Moullec (5.10m) de Maklou Greiz (7.40m) et de Kornog Bras (3.60m), située dans le Sud du Raz, où la mer peut déferler quand il y a de la houle. Ça peut provoquer des barres difficiles à franchir pour un voilier. L’étale de BM (basse mer) dure environ 15’ et la renverse commence au Trouziard et se propage dans l’Ouest.

Les deux routes décrites ci-dessus sont les plus simples et les plus couramment utilisées pour franchir le Raz de Sein et passer de la Mer d’Iroise à la Baie d’Audierne. Mais il existe plusieurs routes possibles et mêmes quelques raccourcis, qu’il vaudra mieux être sûr de bien connaitre avant de s’y engager…

Les raccourcis du Raz de Sein décrit dans l’Almanach du Marin Breton 1900

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Dans l’Almanach du Marin Breton de l’année 1900, un long article est consacré aux PETITES PASSES DU RAZ DE SEIN. Deux passages à terre de la Vieille sont décrits en détail, le célèbre TROUZIARD et le «PETIT RAZ» encore plus radical comme raccourci ! Cette description est destinée aux pêcheurs qui à l’époque ne naviguent qu’à la voile, sur des bateaux souvent non pontés, et qui ne peuvent pas toujours attendre l’étale pour aller vendre leurs poissons:
« Tout le monde connaît le grand danger du Raz de Sein ; cette mer tourmentée, ces murailles d’eau qui se mâtent à pic ; ces coups de mer qui se lèvent si vite et qui déferlent lourdement dès qu’il y a un peu de vent.
J’entends d’ici des patrons qui vont dire : «Y a qu’à passer au moment de l’étale, et on trouvera la mer belle»! Oui : quand on peut passer juste au moment de l’étale de pleine mer ou de basse mer, alors que les courants sont endormis un peu, il est sûr que le Raz est maniable ; mais c’est là justement le difficile. Dans la pratique, il est bien difficile de savoir juste l’instant de l’étale. Non seulement il faut être sûr de sa montre, mais encore il faut savoir tenir compte de la direction du vent, de la force de la marée et des endroits où on veut passer. Et puis aussi, l’on est presque toujours pressé lorsqu’on se présente devant le Raz : pressé par le temps qui menace ; pressé par la nuit qui approche ; pressé surtout à cause du poisson qu’il faut porter à terre au plus vite et alors, quand on reconnaît qu’il faudrait laisser perdre 1, 2, 3 et 4 heures pour attendre l’étale, on perd patience, on se dit qu’après tous les brisants n’ont pas l’air bien méchants ; et on se lance dans la chaudière, plein de confiance dans la chance qu’on a eue jusque-là Et, une fois empoigné par les courants, il n y a plus moyen de revenir : il faut passer, ou aller au fond

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Lorsqu’il y a peu de lame de fond, lorsque la houle est faible, on peut pratiquer les passages à terre de La Vieille, afin d’éviter les clapotis et les brisants de la mer de courant. Le Petit Raz et la passe du Trouziard ; ils ont chacun leurs avantages Il y a là deux passages qui rendent de vrais services aux embarcations, aux pêcheurs de homards, de sardines, de maquereaux et même aux petits caboteurs c’est le Petit Raz, et c’est la passe du Trouziard.
Le Trouziard est plus praticable que le Petit Raz quand on veut passer à 3 h, à 4 h, à 5 h de jusant, et aussi quand la houle est un peu forte ; mais le Petit Raz est plus avantageux et rend grand service lorsque, venant du S.E., on veut franchir le raz malgré une grosse brise de E., de N.E., ou même de N. Dans ce cas-là, c’est le seul moyen pour une chaloupe sans pont d’éviter les gros clapotis du grand Raz et les méchants paquets de mer du courant. Dans ces deux passes, les courants détournent plus d’une heure avant les courants du Grand Raz et c’est encore là un grand avantage : il y a flot et il y a jusant une heure plus tôt qu’au large de la vieille. Il faut remarquer que l’étale dans ces deux passes, avance de 1 h 30 sur l’heure des marées de Sein.
Nous croyons utile de donner quelques instructions sur ces deux passes. Les jeunes patrons de Douarnenez, de Camaret et d’Audierne pourront y trouver quelques renseignements ; les patrons étrangers pourront être heureux un jour ou l’autre de connaître les marques de ce passage.
Le Petit Raz est une passe étroite qui n’a guère que 40 m de large, à basse mer. Il faut se méfier de deux roches : la «roche du Milieu» et la «roche du Nord». Cette passe se trouve à toucher la pointe du raz ; elle fait S.E. et N.O., et n’a pas plus de 2 m de profondeur dans les grandes basses mers. C’est donc une passe de beau temps ; elle est dangereuse lorsqu’il y a de la levée surtout par houle de S. et S.E. La pointe du raz se termine dans la mer par un rocher pointu en forme de «pain de sucre» qu’on appelle «Gorleic». Gorleic touche la pointe à basse mer ; il est, à haute mer, séparé de la pointe par quelques brasses d’eau et s’élève d’environ 6 m au-dessus de la pleine mer. C’est Gorleic qui sert à faire la passe du Petit Raz, il n y a qu’à arrondir Gorleic. Pour cela, on fait cap sur Gorleic, on passe à quelques brasses (huit ou dix brasses) dans l’Ouest de Gorleic et le passage est franchi.
La «roche du Milieu» se trouve à 40 m dans le SO de Gorleic. Si on vient du N.O., il faut se méfier grandement du jusant qui porte avec violence sur la roche du Milieu. Il faut donc se rappeler que le courant porte N. et S., tandis que la passe est N.O. et S.E ; pour parer cette roche, il faut ranger Gorleic à quelques brasses et, aussitôt qu’on double Gorleic, il faut faire cap en grand sur la pointe, comme si on voulait faire côte ; on donne ensuite un coup de barre pour revenir en bonne route. Par petite brise, par vents d’amont, il faut toujours avoir les avirons parés en dehors pour pouvoir être sûr de sa manœuvre.
La roche du Nord est située à 80 m dans le N. de Gorleic. Les marques de la roche du Nord sont : le moulin de l’île de Sein, vu dans le nord du pied de la Vieille et ouvert de deux fois la grosseur du phare.
Le Petit Raz est une passe de jour, car la nuit, même avec la lune, elle est dangereuse à cause de l’ombre de la terre du Raz qui trompe l’œil et empêche de calculer les distances : en jusant il ne faut jamais y passer de nuit, même par calme, mais préférer la passe du Trouziard, où les courants portent dans la direction de la passe.

passage du trouziard

La passe du Trouziard est à terre de Gorlegreiz, ce gros paquet de roches qui montre toujours quatre sommets hors de l’eau et qui est presque à mi-distance de la Pointe du raz à la Vieille. La passe du Trouziard est à 200 mètres plus au large que la passe du Petit Raz ; elle est à l’Est de Gorlegreiz : entre «Gorlegreiz et le Trouziard».
Le Trouziard est ce rocher qui ne couvre presque jamais (coté 8 mètres) qui est situé à 100 mètres dans l’Est de Gorlegreiz. La passe du Trouziard est meilleure que le Petit raz lorsqu’il y a un peu de mer et de levée ; et il est plus facile de le franchir à cause de la direction de la passe, qui est N. et S. comme les courants. Mais on y rencontre un clapotis plus dur que dans le Petit Raz. Ce passage à environ 50 mètres de large et 3 mètres de profondeur à basse mer.
Pour pratiquer ce passage qui est très facile, il suffit de se présenter N et S entre Gorlegreiz et Trouziard. On range dans l’Est les trois rochers de Gorlegreiz qui sont accores ; on en passe à 10 ou 15 mètres dans l’Est. Venant du Sud on peut tenir le Tevennec par Gorlegreiz pour s’en approcher. La nuit, lorsqu’il y a de la lune, ce passage est praticable pour ceux qui y ont déjà passé le jour. »

Si le passage du Raz de Sein laisse toujours des souvenirs, celui du Trouziard encore plus, et inutile de le franchir de nuit pour cela !

Raz de Sein :Lord Jim dans la passe du TROUZ YAR

passage du Raz à la voile
Le bar-du-Trouz-Yar

Mettre le cap au sud n’est pas le plus courant pour Lord Jim plus coutumier des escapades vers les îles Scilly en passant par l’archipel de Molène et Ouessant en Mer d’Iroise. Mais à différentes occasions nous mettons du sud dans notre route : tous les 2 ans à l’occasion des fêtes maritimes du Golfe du Morbihan, et lors des croisières en Bretagne Sud. Il est même arrivé qu’avec un programme de navigation prévu vers les îles Scilly, en raison d’une météo capricieuse, nous préférions faire route vers les îles des Glénan et l’île de Groix.
C’est à ces occasions que nous aimons franchir le Raz de Sein. Et lorsque les conditions de navigation le permettent, nous empruntons avec plaisir la passe du Trouz Yard. L’expérience, l’observation et la concentration sont indispensables car une fois engagé dans la passe on ne peut plus faire demi-tour. Franchir le Trouz Yard c’est aussi se mettre dans le sillage des anciens, pêcheurs à la voile qui avaient développé une grande science de la navigation dans les courants. L’émotion est toujours au rendez-vous, à fortiori quand à cette occasion nous remontons un bar au bout de la ligne de traîne. Ce fut le cas au retour de la dernière semaine du Golfe en 2017. Un bar de 6Kg à remonter, qui assure le repas et en tous les cas laisse un souvenir inoubliable !